Voici vingt ans, au lendemain du génocide, les femmes du Rwanda se sont retrouvées seules, obligées de ne compter sur leurs propres forces. Les hommes étaient morts, en fuite, en prison. 70% des survivantes étaient des femmes, et, pour survivre, elles durent assurer des tâches qui, naguère, étaient réservées aux hommes : on les a vu grimper sur des toits, porter des poutres, reconstruire les maisons… Elles n’avaient pas le choix…
Présidente de l’Assemblée nationale, Donatille Mukabalisa incarne cette révolution que les femmes ont imprimée à son pays: rescapée du génocide, elle en est à son troisième mandat de députée et à Bruxelles, elle a reçu, au nom du Rwanda, un prix décerné par l’association des femmes parlementaires à l’occasion d’une importante réunion « Global forum of women in Parliament », présidée par la Libérienne Eileen Gordon Sirleaf.
L’avancée politique des femmes rwandaises est spectaculaire : 51 des 80 députés sont des femmes, qui bénéficient il est vrai de 24 sièges qui leur sont réservés d’office. « Cette participation massive est le résultat d’une volonté politique » explique Mme Mukabalisa : «dans la nouvelle Constitution rwandaise, votée en 2003, il est clairement stipulé que 30% des députés doivent être des femmes, que ces dernières, à tous les niveaux de pouvoir, doivent représenter un tiers des effectifs. » Aujourd’hui, cette exigence est largement dépassée et du niveau local jusqu’aux échelons supérieurs, les femmes représentent 44% du personnel politique.
Domitille Mukabalisa et sa collègue, l’honorable Alphonsine Mukarugema assurent, en plaisantant : « bientôt, la promotion des femmes sera telle que ce sont les hommes qui auront besoin d’un quota de sièges réservés… »
Si les « 30% », imposés par le pouvoir politique, ont été un élément déclencheur, la nécessité a fait le reste : « les femmes, qui devaient reconstruire leur famille, ont été obligées de jouer un rôle plus important dans la société… » Mme Mukabalisa en est persuadée : « si,en 1994, les femmes avaient été plus nombreuses en politique, le génocide n’aurait sans doute pas été possible.. « Une vision peut-être trop optimiste : sous Habyarimana aussi, il y avait des femmes ministres, et, si la chef du gouvernement Agathe Uwilingyimana, qui appartenait à l’opposition, fut assassinée, ses collègues se révélèrent parmi les plus extrémistes…
Avec les autres élues, les deux députées ont réussi à faire adopter des lois qui, dans ce pays encore patriarcal, peuvent être considérées comme révolutionnaires : la loi sur l’héritage place les filles sur le même pied que leurs frères, les femmes, au même titre que leur mari, ont droit à la propriété foncière et cette dernière ne peut être vendue sans leur aval. D’autres lois répriment fortement les discriminations liées au genre et nos interlocutrices se montrent fort étonnées d’apprendre qu’en Belgique le salaire égal pour les femmes n’est pas encore totalement acquis.
Dans les années qui ont suivi le génocide, l’un des premiers combats des femmes rwandaises a été de faire reconnaître le viol comme une arme de guerre, comme un « crime de la première catégorie », passible des peines les plus sévères, au même titre que les crimes de sang. « C’est en 1998, alors que les femmes ne représentaient encore que 8% des élues du Parlement de transition, que fut votée cette loi marquant toute la gravité du viol. C’est alors que la parole se libéra : les femmes qui, jusque là n’avaient pas osé parler se mirent à raconter comment elles avaient subi des viols collectifs des tortures sexuelles systématiques… Devant le Tribunal pénal international d’Arusha aussi, où étaient jugés les principaux génocidaires, les femmes eurent le courage de raconter ce qu’elles avaient subi… »
D’autres lois suivirent, comme, en 2008, la loi punissant de peines très lourdes les violences basées sur le genre : depuis lors, le viol d’une fille mineure peut entraîner 25 ans de prison.
« Grâce à ces lois, la situation a évolué » reconnaissent les deux élues, « mais la violence domestique demeure préoccupante, c’est une séquelle des traumatismes subis durant le génocide. Pour tenter de contrer ce phénomène, des mesures ont été prises : la police est spécialement chargée de protéger les femmes et les jeunes filles, des «one stop centers » accueillent des femmes maltraitées et, comme plusieurs services s’y trouvent réunis, elles ne doivent expliquer leur cas qu’une seule fois avant de recevoir de l’aide sur plusieurs plans, psychologique, physique, juridique… »
En plus des lois liées au genre, les femmes parlementaires veillent aussi, dans tous les domaines, à améliorer la situation de leurs compatriotes : « les femmes reçoivent des micro crédits, elles sont encouragées à poursuivre des études dans des branches plus techniques et deviennent ingénieur, informaticiennes…Désormais, de très jeunes filles, très qualifiées après une bonne formation, trouvent du travail dans les institutions comme le Bureau de développement du Rwanda ou d’autres établissements publics et le gouvernement compte trois femmes ministres, (Affaires étrangères, agriculture, santé) et deux secrétaires d’Etat. »
Les deux parlementaires n’excluent pas qu’en 2017, lors des prochaines élections, une femme se porte candidate à la présidence de la République « Pourquoi pas, tout est ouvert… » Elles insistent : « le Sénat a créé un Bureau de contrôle qui vérifie si l’égalité des femmes est bien une réalité et qui publie régulièrement des rapports. Cette promotion des femmes ne profite pas seulement aux intéressées, elle est bénéfique pour le pays car en matière de lutte contre la corruption, les femmes se montrent intraitables… »