Paul Magnette : “La description qu’on fait de la génération Y est trop belle pour être vraie”
Mardi, le président du parti socialiste Paul Magnette a consacré la chronique qu’il publie chaque quinzaine chez nos confrères du Standaard à la “génération Y”. Vous retrouverez cette chronique ci-dessous. Et si vous voulez nous soumettre une carte blanche sur les défis liés à cette génération #25, n’hésitez pas. Une seule adresse : forum@lesoir.be
C’est devenu, en France, un thème sociologique à la mode : la génération qui arrive aujourd’hui sur le marché du travail entretient à l’égard de la vie professionnelle des attitudes qui sont en rupture, discrète mais profonde, avec les cohortes précédentes. Cette « génération Y » est, dit-on, moins obsédée par la réussite que les précédentes, moins fascinée par les rémunérations, mais davantage préoccupée par sa qualité de vie et par le « sens » de son engagement professionnel. A la différence de la génération 68’ qui avait attaqué frontalement le système (et dont les éléments les plus avancés avaient radicalement rompu avec la société productiviste-consumériste pour aller élever des chèvres dans le Larzac), la « génération Y » ne revendique pas de grand message politique, ne s’organise pas collectivement et ne se manifeste pas bruyamment dans l’espace public. Dans ses choix de vie cependant, elle remettrait en cause le modèle socio-économique dominant, au point d’en éroder les fondements. Nourrie de nouvelles technologies, et de l’industrie musicale et cinématographique qui les sous-tend, elle serait davantage tournée vers la créativité, portée sur des pratiques de partage et d’échange. Immergée dans les réseaux sociaux, elle serait demandeuse de temps disponible pour vivre, en dehors du travail et de la vie sociale, cette troisième vie parallèle qu’est la mise en scène de leur quotidien sur Facebook et Twitter. Narcissique sans excès, elle trouverait dans l’exposition de ses autoportraits une satisfaction qu’elle ne chercherait plus dans la réussite sociale. Dès lors, et c’est là ce qui préoccupe les consultants qui informent le milieu des affaires sur l’évolution du monde, cette génération sans attaches durables serait beaucoup moins facilement intégrable dans les cadres professionnels. Attachée à sa vie hors travail, elle ne laisserait plus l’emploi coloniser son temps de vie ; aspirant à la création et à l’épanouissement, elle serait moins disposée à se couler dans les routines et les process d’un management hypercodifié ; comble de l’inquiétude, peu vénale, elle serait moins disposée aux concessions contre contrepartie financière.
L’histoire est séduisante, mais un peu trop belle pour être vraie. D’abord, cette interprétation ne touche qu’une petite partie de la génération montante, celle qui a la chance d’avoir trouvé un véritable emploi. Les trop nombreux jeunes qui n’ont ni emploi, ni stage, ni formation, n’ont pas accès à ce luxe de la conscience. Pas plus que les très nombreux jeunes qui ont un emploi, plus subi que choisi, et qui souvent n’osent pas s’en plaindre tant on les a convaincus qu’ils avaient bien de la chance de travailler dans un call-center, un entrepôt de logistique ou une société de gardiennage, parce que « même si c’est dur et mal payé, c’est toujours mieux que d’être au chômage ».
Abstraction faite de cette réalité statistique, le thème de la « génération Y » reste une histoire enjolivée. Dans le groupe social des jeunes qui disposent d’un emploi qualifié et correctement rémunéré, emploi qu’ils ont choisi et qui correspond à leur formation (ce qui ne représente qu’une minorité de cette classe d’âge, répétons-le), le rapport au travail reste complexe. Si les changements fréquents d’employeurs, ou de fonctions, peuvent être perçus par les plus optimistes comme une « multiplication d’expériences formatrices », voire comme une forme de joyeuse bohème professionnelle, ils sont dans les faits, et la plupart du temps, le résultat d’une précarité professionnelle pénible, comme l’a démontré dans sa thèse Laurent Giraud (Le Monde du 11 octobre 2013).
De même, l’attachement aux loisirs et aux formes fluides de sociabilité n’est, bien souvent, qu’une manière de meubler un temps « libéré » par des périodes d’inactivité subies ou des horaires inconfortables qui rendent difficile une vie sociale ou familiale plus conventionnelle. L’idée qu’une nouvelle génération montre le chemin d’une société plus paisible et plus désintéressée est toujours séduisante, surtout pour les progressistes qui aspirent à voir se développer un modèle de société fondé sur des aspirations à la créativité et à la convivialité. Et les représentants de la génération Y, n’ayant pas envie d’admettre qu’ils ne sont pas pleinement heureux, sont sans doute enclins à y croire eux-mêmes.
En attendant, un jeune sur cinq continue d’affirmer dans les enquêtes d’opinion qu’il vit mal, et que le travail, son absence ou sa douleur, en est l’une des causes principales.
Paul Magnette
Béatrice Decoop le 20 décembre 2013 à 8 h 55 min
Ce ne sont pas les sociologues qui ont mis ce thème à la mode (ils savent très bien que la jeunesse est trop hétérogène pour être globalement qualifiée)… mais les marketeurs et certains journalistes auto-proclamés “Y-ologue” (ce terme n’est pas de moi mais je le trouve bien trouvé
. Vous présentez la version séduisante de la génération Y, il y aussi la version opposée, celle qui leur prête tous les maux, la version moderne du rejet de la jeunesse qu’ont toujours plus ou moins partagé les anciens depuis Socrate : “Notre jeunesse (…) est mal élevée. Elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui (…) ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce. Ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais.” Maintenant, par rapport à ce qu’il se passe dans les entreprises, on ne peut pas nier les changements, notamment la désacralisation du pouvoir, de l’autorité, l’évolution vers des modes de travail sans doute plus collaboratifs, des formes d’organisation moins hiérarchiques et pyramidales… mais bon, c’est loin d’être généralisé… cela s’illustre pour l’instant essentiellement dans le modèle des start-up. Il y a un penseur américain que j’aime bien sur ces questions-là, Jeremy Rifkins dont je vous invite à consulter les ouvrages si cela n’est déjà fait. Bravo pour votre article et le fait de rappeler la réalité difficile dans laquelle vivent de nombreux jeunes chez nous aujourd’hui.
Permalien |G.C le 23 décembre 2013 à 8 h 30 min
Je répond à la version opposée, propos dont j’ai du mal à voir votre avis, vu qu’ils sont entre guillements. Je pense que beaucoup de jeunes sont encore bien élevé et poli. Mais nous n’avons sans doutes pas la même notion de politesse. Personnellement, j’en ai que faire de tout les protocoles: “se lever quand un personne agée entre dans la pièce”? Je vois pas en quoi cela montre le respect. Et quand bien même je préférerai ne pas me lever dans pareil cas, et essayer d’être convivial et solidaire avec les personnes agées, au lieu de les “stocker” dans les maisons de repos. Après il y a toujours quelque chose entre le tout et le rien, il y a un juste milieu. Le tout est de rester critique et objectif pour pouvoir avancer!
Permalien |Béatrice Decoop le 14 mars 2014 à 17 h 29 min
j’avoue que je prends parfois des raccourcis et que je n’ai peut-être pas été très claire. Je voulais tout simplement dire que Paul oublie d’évoquer dans son article la version critique de la génération Y à laquelle bien entendu, comme vous, je n’adhère pas. En résumé je dis que nos sociétés ont toujours critiqué les jeunes depuis Socrate, que cela n’a rien de nouveau. C’est une manière de refuser le changement en oubliant ce qu’on a été soi-même.
Permalien |Rachel le 2 janvier 2014 à 13 h 37 min
Un monde du travail qui a changé de camp..JEUNES ET MOINS JEUNES sont de plus en plus inquiets face à une technologie qui change rapidement et dont les coûts d’acquisition sont transférés sur le compte des particuliers. Désinvestissements des entreprises dans les centres professionnels de formation ,,,, sélectivités “sévères” des centres de formation publics et procédures d’exécution de mise à disposition GRATUITE de “stagiaires”, “étudiants”, en fin de formation, pendant plusieurs mois. Est-ce réellement, une voie royale vers l’emploi ?
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