Anne Zagré émerge d’une grosse séance d’entraînement qui a un peu plus boosté sa confiance et son humeur. Comme toujours, pour elle, ces moments ont été « du pur bonheur ». « Quand j’en sors, je suis généralement dans un état second, dans un autre monde, ajoute-t-elle. C’est comme si j’étais spectatrice de mon propre corps ; je m’étonne constamment de ce que je peux lui demander ! J’adore cette vie, les sensations que le sport me procure, le dépassement de soi, m’accrocher, aller au-delà de mes limites. Il n’y a rien d’autre qui permette cela. »
Aujourd’hui, parce que « à 26 ans, c’est le moment » et que « ça passe vite, une carrière », elle se construit, brique après brique, avec acharnement pour vivre ce qu’elle espère être son apothéose au terme d’une olympiade en dents de scie avec, d’un côté, des chronos qui l’ont remplie d’aise, et, de l’autre, des résultats qui lui ont arraché quelques regrets et autant de chaudes larmes. « Parfois, je veux tellement bien faire que j’en perds mon influx », reconnaît-elle.
Demi-finaliste olympique il y a quatre ans, elle admet avoir sans doute péché par inexpérience, à Londres, en ne venant pas reconnaître le stade avant sa course. « J’avais préféré privilégier le repos. Quand je suis arrivée sur la piste, j’ai vu des gens jusqu’au ciel et je me suis sentie minuscule. » Mais ce sont deux autres moments qui l’ont atteinte jusque dans ses entrailles dans son histoire récente de recordwoman de Belgique du 100 m haies. Les Mondiaux de Pékin, l’été dernier, avec cette sortie inattendue en demi-finale alors que les portes étaient grandes ouvertes – « Une mauvaise gestion de la course… » Et, surtout, l’Euro de Zurich, en 2014, où, après s’être « vue sur le podium », elle a terminé 4e , le moment « le plus dur » – « Dire que j’étais si proche du but… »
Elle réfute l’argument de certains qui la trouvent trop « gentille », pas assez « tueuse » au moment décisif. « J’ai déjà essayé d’être agressive, mais ça n’a pas marché. Avoir un état d’esprit détendu, c’est ce qui me réussit le mieux. »
N’empêche. Depuis la reprise, sous la direction de Jonathan Nsenga, elle a bossé ses enchaînements départ-début de course dans le but de les automatiser, « parce que rien qu’une entrée en matière “correcte” peut me permettre d’aller vite ». A multiplié les séances de muscu quitte à un peu plus développer cette carrure qui la complexait avant qu’elle n’oblique vers l’athlétisme. Et, pour arriver à être « plus prête dans la tête », a beaucoup discuté avec son coach mental, Andreas Prause, avec lequel elle a aussi travaillé « la visualisation des courses » avec, pour objectif, d’avoir « un schéma prévu » et de ne plus s’en écarter.
Un travail de systématisation qui tranche avec sa vie d’avant quand, jeune ado, elle n’en avait, en guise d’activité physique, que pour le break dance improvisé avec les jeunes de son quartier. « On aimait bien les gares !, se souvient-elle. On débarquait souvent avec nos enceintes, notamment à Bruxelles-Luxembourg où on avait notre endroit, on mettait la musique à fond et on se lançait dans des « battles » au milieu des gens qui passaient ou nous regardaient. Je crois qu’à l’époque, déjà, ça m’a aidée à me muscler. Ma sœur m’appelait “Hombre” ! »
C’est lors d’un stage organisé dans son quartier du Dries avec la collaboration du Racing de Bruxelles qu’elle va découvrir le sport qui, elle ne le sait pas encore, va tout lui donner. Jean Pecher, entraîneur attentif, remarque tout de suite cette fille de 15 ans au gabarit « intéressant ». « Il m’a demandé de faire des pompes en poirier ! Quand je me suis exécutée, il m’a dit qu’il me verrait bien faire de la perche ! »
Anne, elle, n’est pas plus convaincue que ça. « C’est vrai que je courais déjà vite, mais moi, je voulais continuer la danse… » Mais les assauts du coach pour avoir gain de cause auprès de sa mère, elle aussi d’abord rétive, finissent par porter leurs fruits. « S’il n’avait pas insisté, je n’aurais sans doute pas continué. »

L’été dernier, à Pékin, Anne Zagré a loupé une finale mondiale d’un cheveu. Elle ne veut plus revivre ça à Rio. Photo Photonews.
Quand elle contemple son parcours athlétique, doublé d’un cursus scolaire de gestion d’entreprises en cours du soir bientôt bouclé à l’Ichec, elle est prise d’une fierté légitime. « Je viens de loin », avoue-t-elle avec un regard de fer en évoquant son enfance « très heureuse » mais compliquée par des moyens restreints où sa mère, seule avec ses trois enfants à partir de 1999, a dû se battre pour joindre les deux bouts. Elle se souvient de ses premiers équipements, achetés dans une grande chaîne de prêt-à-porter « parce que les grandes marques des équipementiers connus étaient inaccessibles ». Ou de ses spikes, « qui devaient faire plusieurs saisons ». « Maintenant, à la limite, j’en ai trop…, constate-t-elle, forte d’un contrat en bonne et due forme avec une marque à la virgule. Quand tu atteins le haut niveau, plus tu as, plus tu reçois. »
Anne, elle, préfère donner. Du bonheur aux siens. Ici, à sa mère Marie-Jeanne, son frère Anselme et sa sœur Anémone « qui me servait parfois de lièvre à l’entraînement mais qui est désormais partie en Irlande ». Ou là-bas, en Côte-d’Ivoire, même si ses origines sont du Burkina Faso voisin. « Une bonne partie de ma famille y vit, dont mon père, qui y est retourné après sa retraite. Je sais qu’ils suivent ma carrière de près. Je n’y suis plus allée depuis trop longtemps, mais l’an prochain, les Jeux de la Francophonie auront lieu à Abidjan. Ca me plairait assez d’y retourner et de prolonger. »
CARTE D’IDENTITE
Naissance. Uccle, 13 mars 1990.
Taille, poids. 1,76 m, 69 kg.
Résidence. Watermael-Boitsfort.
Discipline. Athlétisme (100 m haies).
Club. Excelsior Sports Club.
Entraîneur. Jonathan Nsenga.
Passé olympique. 2012.